L’affûtage : le secret de la performance au sommet
Après des mois – parfois des années – d’entraînement acharné, vous vous approchez enfin de votre objectif : la ligne de départ de votre grande course. Vous avez enchaîné les kilomètres, accumulé les séances exigeantes et forgé votre corps pour encaisser l’épreuve. Mais à ce moment charnière, une question se pose : faut-il encore pousser une dernière fois, ajouter une séance monumentale pour se rassurer ? La réponse est surprenante : non.
Le véritable secret pour être au meilleur de votre forme le jour J ne réside pas dans un effort supplémentaire, mais dans une période où vous allez… en faire moins. C’est ce qu’on appelle le taper, ou, en français, l’affûtage. Un terme qui évoque l’aiguisage d’une lame et illustre parfaitement l’idée : vous avez façonné votre corps comme un acier brut, il s’agit désormais de lui donner le tranchant final.
GORE-TEX® Experience Tour: All-out trail running in the Dolomites! Photos: ©Kelvin Trautman
La dette de fatigue : comprendre ce que vous portez en vous
Avant d’accepter l’idée de lever le pied, il faut comprendre ce que représente l’entraînement accumulé. Chaque séance est un stress appliqué à votre organisme. L’objectif n’est pas la fatigue en soi, mais l’adaptation : forcer le corps à se reconstruire plus fort. « Pas de stress, pas de changement ».
En ultra-marathon, cette logique prend une ampleur encore plus grande :
Les longues sorties en montagne développent une force de jambes indispensable pour résister aux descentes qui martyrisent les quadriceps.
Les répétitions au rythme de course conditionnent le corps et l’esprit à maintenir une allure sur des heures, jusqu’à ce qu’elle devienne automatique.
Les séances de V02 max – courtes et violentes – augmentent l’efficacité de l’utilisation de l’oxygène, crucial pour performer en altitude.
Ces blocs d’entraînement ne sont pourtant que des signaux envoyés au corps. Comme le souligne l’entraîneur Ronaldo Kenova : « Ce travail n’est pas l’entraînement réel. C’est juste le signal. » La véritable progression intervient pendant la récupération. Mais ce processus laisse derrière lui une énorme dette de fatigue.
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L’affûtage : rembourser pour mieux révéler
C’est précisément là qu’intervient l’affûtage. Après avoir forgé l’acier, il faut arrêter de frapper et se concentrer sur l’aiguisage. L’affûtage, c’est la phase où vous permettez à votre corps de transformer l’accumulation de stress en véritable performance.
La science qui l’explique est celle de la supercompensation : vous imposez une charge, puis vous laissez du repos. Durant ce repos, le corps ne se contente pas de revenir à son état initial : il se reconstruit plus fort pour anticiper de futures sollicitations. C’est dans cette fenêtre que se situe le gain réel de forme.
Tout ce que vous avez construit est déjà là. Mais il est enfoui sous des couches de fatigue. L’affûtage consiste à écarter ces couches pour révéler l’excellent niveau pour lequel vous avez travaillé si dur.
Construire un affûtage efficace
L’affûtage est l’opposé d’une semaine d’entraînement de pointe. Pendant cette dernière, le volume est haut, l’intensité est élevée et l’objectif est de construire. Dans l’affûtage, l’objectif est simple : dissiper la fatigue.
Les grands principes :
Réduire drastiquement le volume : parfois de moitié, voire davantage.
Conserver une touche d’intensité : de brèves accélérations pour « réveiller » le système nerveux sans créer de nouvelle fatigue.
Un modèle d’affûtage inspiré de Rico Elmer illustre bien la démarche :
Diminuer fortement le kilométrage hebdomadaire.
En début de semaine, garder une séance courte et intense, juste assez pour rappeler à vos jambes la sensation de la vitesse.
Un ou deux jours avant la course, effectuer une sortie facile avec quelques petites accélérations.
Prioriser sommeil et nutrition, véritables piliers de la récupération finale.
Le défi mental
Si l’affûtage est physiologiquement indispensable, il reste mentalement redoutable. Réduire le volume peut donner l’impression de perdre la forme. La tentation est grande d’ajouter « une dernière grosse séance » pour se rassurer. Pourtant, c’est exactement l’inverse qui est bénéfique.
L’ultra-coureuse Chrissy Mole décrit ce que l’affûtage bien mené procure : un corps reposé, mais aussi un esprit libéré. Après des mois de discipline et de charge, ce repos secoue l’épuisement mental et ravive l’envie de compétition. On arrive sur la ligne de départ non seulement préparé, mais aussi frais et affamé.
Écouter son corps
L’affûtage n’est pas seulement une technique, c’est un art. Celui d’écouter ce que dit son corps. Le vieil adage est clair : « mieux vaut être sous-entraîné de 10 % que surentraîné de 1 % ».
Votre forme est déjà dans vos jambes ; « le foin est dans la grange », comme le disent les Anglo-saxons. Il ne s’agit plus de construire, mais de laisser le travail s’exprimer.
Le moment venu, si votre plan prévoit encore une séance exigeante mais que votre corps réclame du repos, faites le bon choix. C’est peut-être là que se joue la différence entre une performance solide et la course de votre vie.